CHAPITRE XVIII
Quelques instants plus tard, après avoir chargé dans la fusée ce que nous voulions emporter – des livres et des appareils – nous partions, mais simplement pour un trajet qui ne dura pas beaucoup plus de deux minutes, car la ville où résidait Pflat n’était qu’à vingt-deux kilomètres. Je ne fis fonctionner que nos réacteurs annexes et à l’extrême ralenti, car même les fusées de secours ne sont pas faites pour des voyages aussi brefs. On peut toutefois les utiliser ainsi en cas de nécessité.
Nous nous sommes posés à quelques centaines de mètres de l’entrée de la ville où résidait le Bomor.
— Nous ne pouvons pas nous tromper sur la maison où il se trouve, me dit Luigi. C’est celle que nous voyons là-bas, la première et la plus belle de l’agglomération, cette grande maison rouge flanquée de tours dentelées. À cette heure matinale, il doit, non pas dormir – car les Bomors ne dorment jamais – mais s’abandonner à cette sorte de relaxation dont ils ont besoin et qui doit les rendre moins vigilants. D’ailleurs Pflat, qui est dégoûté de tout, n’est certainement pas sur ses gardes.
Nous nous sommes avancés derrière une haie. Je marchais en tête, avec Serej. Je tenais dans une main mon fulgurant et dans l’autre cette petite sphère métallique que Mihiss m’avait donnée après m’en avoir expliqué le fonctionnement : un appareil qui devait nous protéger contre certaines ondes susceptibles d’arrêter notre progression, voire même de nous paralyser douloureusement. Serej était armé lui aussi. J’avais affirmé à Luigi que nos armes n’étaient destinées qu’à intimider Pflat. En fait, je ne voulais pas prendre de risques inutiles.
J’avoue que, tandis que j’avançais ainsi vers la maison, je n’étais pas tellement rassuré. Ce que je savais déjà de la puissance des Bomors me donnait à réfléchir. Luigi et Mihiss, qui nous suivaient, étaient très pâles. Sarahor et Mra avaient préféré rester près de la fusée.
Le grand porche de la maison était ouvert. J’y pénétrai le cœur battant. L’intérieur était somptueux. Je marchais sur d’épais tapis. J’avais ouvert deux ou trois portes qui donnaient sur des salles vides, et je me préparais à en ouvrir une autre, lorsque j’entendis une voix, assez assourdie mais pourtant très distincte, qui s’exprimait dans ma propre langue et qui disait :
— La dernière porte à gauche…
J’eus un mouvement de surprise. Mais Luigi me souffla :
— C’est la voix de Pflat… Il a décelé notre présence… Allons où il nous indique… Promets-moi de ne pas tirer…
J’avançai rapidement dans le couloir. J’ouvris la dernière porte de gauche qui donnait sur une très grande pièce. Alors, je vis, assise dans un fauteuil, la créature. Par un réflexe instinctif, je levai mon fulgurant.
— Ne tire pas ! me cria Luigi.
Mais presque en même temps la créature me disait :
— Tuez-moi tout de suite. Vous me rendrez service…
Je ne vous décrirai pas cet être extraordinaire. Vous savez déjà, d’après les messages de Luigi, à quoi il ressemble. Je le savais moi aussi. J’eus néanmoins un choc.
Luigi et Mihiss s’étaient précipités et s’étaient placés entre Pflat et moi. Ils n’avaient pas d’armes entre les mains, eux.
— Nous ne sommes pas venus pour vous tuer, s’écria Luigi. Ni pour vous maltraiter de quelque façon que ce soit. Nos amis de ma race ici présents – avec qui j’avais pu entrer en communication – sont venus nous chercher. Mais nous avons besoin de vous. Il faut que vous nous suiviez… Nous vous emmenons…
L’étrange créature translucide secouait la tête.
— Non, Luigi, non, dit-elle. Je ne peux pas trahir les miens. Mais vous, envers qui je me suis montré amical et confiant, vous me trahissez… Tuez-moi tout de suite, cela vaudra mieux…
— Ne croyez pas…, s’écria Luigi.
Mais les mots s’étranglaient dans sa gorge. Je pris la parole.
— Je veux moi-même vous rassurer, moi que vous ne connaissez pas encore. Luigi et ses compagnons ne vous ont pas trahi. Et nous ne vous demandons pas de trahir les vôtres… Il y a quelques instants, à la requête même de Luigi et de ceux qui vivaient avec lui, j’ai pris l’engagement solennel – car ils en faisaient une condition à notre visite ici – que ni maintenant ni plus tard nous ne tenterions d’obtenir de vous quoi que ce soit contre votre gré. Ce que nous voulons, c’est que vous coopériez avec nous, librement, à la recherche d’une solution à l’effrayant problème qui se pose pour vous plus encore que pour nous. Pour cela, il faut que vous nous suiviez, que vous veniez dans notre civilisation… Mais il faut que vous le fassiez de votre plein gré. En cas de refus, nous partirons et vous laisserons tranquille si vous nous promettez de ne rien tenter pour entraver notre retour…
Le Bomor poussa un soupir. Il semblait hésiter. Il dit :
— Oh ! je ne tenterai rien… Mais promettez-moi vous-même de ne rien tenter pour délivrer ceux des vôtres qui sont prisonniers à Bophal. Ce serait effroyable, non pas pour nous, mais pour vous… Je…
Il n’acheva pas sa phrase. C’est alors que Mihiss intervint.
— Il est hésitant, nous dit-elle. Il ne repousse pas absolument l’idée de nous accompagner… Mais il ne se fie pas entièrement à votre promesse, Georges Klink… Je lis tout cela dans ses pensées. Mais laissez-moi faire… Je vais le convaincre… Je vais mettre votre esprit directement en communication avec le sien.
Ce que fit alors l’étonnante femme slump me stupéfia. Elle prit la main de Pflat. Elle me prit aussi la main.
Je ne rapporterai pas l’étrange dialogue télépathique qui s’établit alors entre le Bomor et moi. Ce serait trop long et trop difficile. Mais au bout d’un moment, je vis quelque chose qui ressemblait à un sourire se former sur le visage de Pflat. Il lâcha la main de la jeune femme. Il lui dit :
— Vous aviez raison, ma chère Mihiss… Maintenant, je suis convaincu… J’accepte de vous accompagner… Vous permettez que j’emmène quelques livres ?
Une heure plus tard, nous étions dans l’astronef. J’avais installé Pflat dans la cabine la plus luxueuse, la mienne. Non seulement je t’avais autorisé à emmener des livres, mais je lui avais dit d’en prendre beaucoup. Je commençais à éprouver moi aussi une certaine admiration pour lui. Le peu que j’avais vu des capacités de son esprit, pendant les quelques instants où j’avais été en contact télépathique avec lui, m’avait confondu.